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Enterré vivant : mort apparente et enterrement précipité

Antoine Wiertz, L’inhumation précipitée, 1854. Bruxelles, Musées royaux de Belgique, Inv. 1968.
Antoine Wiertz, L’inhumation précipitée, 1854. Bruxelles, Musées royaux de Belgique, Inv. 1968.

 

À l’occasion de l’édition 2024 des Rendez-vous de l’Histoire de Blois (8-13 octobre), le carnet L’Histoire à la BnF met en ligne le texte remanié des communications que la Bibliothèque avait présentées en 2023. Le thème cette année-là était « Les vivants et les morts ».

Parmi les angoisses entourant la mort, une des plus puissantes est la taphophobie, c’est-à-dire la peur d’être enterré vivant. Molière, dans L’Etourdi, fait dire à un de ses personnages :

Qui tôt ensevelit, bien souvent assassine,
Et tel est cru défunt qui n’en a que la mine

Un décès peut être confondu avec un état comateux ou cataleptique. Des personnes encore en vie se sont ainsi retrouvées six pieds sous terre. Certaines ont été sauvées in extremis, mais les autres sont passées de vie à trépas dans leur propre sépulture, comme le démontrèrent des exhumations pratiquées après coup. Ceci explique des rites funèbres comme la veillée du corps, qui vit des cas de réveil soudain du présumé décédé. Les écrivains se sont emparés du thème, d’Edgar Poe à Honoré de Balzac faisant émerger le colonel Chabert des charniers de la bataille d’Eylau, avant d’inspirer le cinéma.

Une partie des personnes enterrées vivantes ont été mises sous terre conscientes, pour raisons judiciaires ou criminelles. Les autres ont été enterrées inconscientes et se sont réveillées dans leur tombe, où elles tentèrent de prévenir le voisinage de leur existence. Pour conjurer cette crainte, les autorités ont produit une abondante littérature, et les inventeurs ont redoublé d’ingéniosité, mettant au point des cercueils sécurisés où l’enterré pouvait respirer et signaler sa présence en cas de réveil. Le perfectionnement des techniques de réanimation a également permis de ramener à la vie de nombreuses personnes promises au trépas.

Sortir du tombeau

L’inhumation est pratiquée par l’humanité depuis la Préhistoire, pour empêcher les charognards de dépecer les corps de nos chers défunts. La question du passage de vie à trépas, de la présence des morts et de leur retour possible nous taraude aussi depuis bien longtemps. Les mythes décrivent ainsi l’existence de non-morts, dont les vampires sont les représentants les plus connus, remis au goût du jour par Bram Stoker dans son Dracula. Bien que mis en bière, ils reviennent tourmenter les vivants.

La Bible nous expose le cas de personnes qui, mises mortes au tombeau, en sont sorties vivantes, tel Lazare ressuscité après avoir passé les portes de la mort, comme l’atteste l’odeur qu’il dégage, signe de la décomposition de son corps. Peu de temps après, le Christ, qui a ressuscité Lazare, est lui-même crucifié et mis au tombeau, avant d’en sortir, de se révéler à ses disciples et de monter au ciel quarante jours plus tard. Sa résurrection annonce celle promise aux Justes à la fin des temps, comme le montrent les scènes tirées de l’Apocalypse.

Emmuré vivant

Parmi les personnes mises vivantes au tombeau, une première catégorie regroupe celles qui sont conscientes lors de ce processus. Une partie de ces cas devrait plutôt être qualifiée d’emmurement. La personne est placée dans une niche qui est murée, ou enfermée dans un tombeau. Certaines d’entre elles le sont volontairement. Des moines et des moniales ont ainsi été placés dans un reclusoir, c’est-à-dire une cellule pour reclus. Une ouverture permettait de leur donner à manger. Dans tous les autres cas, l’enterrement ou emmurement est réalisé contre la volonté de la personne qui le subit. Les motifs en sont une exécution judiciaire, des persécutions ou exactions (durant des conflits), et le crime.

Henri-Pierre Danloux, Le supplice d’une vestale, 1790. Paris, musée du Louvre, département des Peintures, RF 1987 15.
Henri-Pierre Danloux, Le supplice d’une vestale, 1790. Paris, Musée du Louvre, département des Peintures, RF 1987 15.

Un mode d’exécution

Le cas le plus connu d’emmurement judiciaire nous vient de la Rome antique. Les vestales y étaient chargées du culte de Vesta, déesse du foyer. Elles entretenaient le feu sacré, symbole du foyer familial. Elles devaient rester vierges pour exécuter leurs rites et il ne fallait pas qu’elles laissent le feu sacré s’éteindre. En cas de défaillance, elles étaient emmurées vivantes dans un tombeau. Des tableaux de la fin du XVIIIe siècle, avides de sujets antiques, nous montrent la vestale descendre dans le tombeau où des licteurs lui laissent à boire et à manger avant de retirer l’échelle et de refermer le tombeau. Boisson et nourriture ne feront que prolonger la longue agonie qui l’attend. La plus célèbre vestale à subir ce traitement est bien sûr Rhéa Silvia, à qui le dieu Mars donne deux fils, Romulus et Rémus. De même, Antigone a rendu les rites funèbres à son frère Polynice alors que leur oncle Créon lui avait interdit ; il la condamne à être emmurée vivante. Elle se pend dans son tombeau, provoquant le suicide de son fiancé et de la mère de celui-ci.

Le cinéma s’empare de ce mode d’exécution avec La momie, film de 1932 où Boris Karloff interprète le prêtre Imhotep, tombé amoureux de la princesse Ankh-Souh-Namun. Il est condamné à être couvert de bandelettes et enfermé vivant dans un sarcophage. Ramené à la vie des siècles plus tard par des archéologues qui découvrent son tombeau, il fait tout pour ranimer la princesse de son cœur. L’exécution peut aussi prendre la forme d’un sacrifice humain comme lors du décès du roi d’Ouidah qui voulait voir huit femmes être enterrées vivantes avec lui.

Une autre forme d’exécution a aussi été pratiquée : enterrer une personne à la verticale en ne laissant dépasser que la tête. Elle périt ensuite de soif, de faim, d’insolation, attaquée par les bêtes féroces voire lapidée. Le Dictionnaire de la pénalité dans toutes les parties du monde connu explique que ce supplice était en usage en Sibérie. Il a également servi pour des exécutions collectives, durant la guerre de Quatre-Vingt Ans entre Espagnols et révoltés néerlandais, ou lors de persécutions religieuses comme le rappellent des récits de martyres.

L’outil du crime

Des motivations criminelles ont également conduit à utiliser l’enterrement de personnes vivantes. Cela permet de faire disparaître leur corps, mais surtout de leur faire subir une atroce agonie. Ce thème ne pouvait qu’inspirer Edgar Poe. Dans La barrique d’amontillado, une de ses nouvelles, il raconte comment Montrésor veut se débarrasser de Fortunato qui lui a fait subir mille injustices. Il l’attire chez lui un soir en promettant à cet amateur de vin de lui faire goûter une remarquable cuvée d’amontillado. Fortunato, passablement éméché, est conduit dans une cave où il est enchaîné par surprise. Son ennemi l’emmure alors dans un recoin du sous-sol, savourant sa vengeance.

Une autre variante voit le criminel étourdir sa victime et la placer vivante dans un cercueil. Elle se réveille sous terre. Quentin Tarantino a utilisé ce motif dans Kill Bill : Volume II1. Beatrix Kiddo, après avoir été droguée, reprend ses esprits dans un cercueil dont elle va enfoncer le couvercle grâce aux techniques de renforcement qu’elle a apprises, lui permettant d’émerger du sol fraîchement remué. Ce thème a plu à Tarantino car, l’année suivante, il le remploie pour deux épisodes de la série Les Experts, où un membre de cette équipe est enlevé et placé dans un cercueil en plexiglas équipé d’une caméra. Ses collègues en reçoivent les images ; une course contre la montre s’engage alors pour délivrer leur ami qui risque de rapidement manquer d’air et de se faire attaquer par des fourmis de feu. Un cercueil en bois fournit le décor unique du film Buried2. Un camionneur américain travaillant en Irak y a été capturé lors d’une attaque et enterré vivant avec un téléphone et une lampe. Quand il se réveille, il tente de contacter le monde extérieur ; ses ravisseurs l’appellent pour lui demander une rançon. Il doit alors affronter le stress, la chaleur, un serpent, son téléphone qui se décharge, et la terre qui risque d’écraser son cercueil.

« Un faux mort », Le Petit Parisien. Supplément littéraire illustré, 11 août 1901. BnF, DEP, Grand FOL-Lc2-3850 (bis).
« Un faux mort », Le Petit Parisien. Supplément littéraire illustré, 11 août 1901. BnF, DEP, Grand Fol-Lc2-3850 (bis).

Enterré inconscient

Quand une personne est enterrée involontairement car considérée comme morte, on peut parler de mort apparente. Elle présente les signes du trépas mais reprend ses esprits ultérieurement. La presse est friande de ce genre d’histoires. Le Supplément illustré du Petit Parisien présente ainsi deux cas de mort apparente. « Un faux mort » voit un cultivateur déclaré mort. Lors de la veillée, il se réveille. Prenant conscience qu’il risquait d’être enterré, il bondit et prend ses jambes à son cou. La lithographie montre le moment où il se redresse et aperçoit un cercueil au pied de son lit, prêt à l’accueillir. « Enterré vivant » est le récit d’un vieux pâtre qui, alors que les fossoyeurs placent son cercueil dans la fosse, se manifeste en donnant des coups. Il est sorti de son cercueil mais décède quelques heures plus tard.

Les enterrements précipités sont plus fréquents lors de grandes mortalités comme les épidémies ou les conflits. Il faut alors enterrer rapidement un grand nombre de corps, de façon sommaire, et des méprises se produisent. C’est le sujet du tableau d’Antoine Wiertz, L’Inhumation prématurée. Dans un sous-sol voûté, plusieurs cercueils sont empilés. De l’un d’eux émerge un homme dans un linceul. Le cercueil comporte une inscription : « Mort du choléra. Certifié par nous docteurs. Sans doutes ». La scène apporte un cruel démenti à cette déclaration. Elle rappelle aussi le nombre important de décès dus aux pandémies comme le choléra, qui frappe plusieurs fois l’Europe au XIXe siècle. Les corps à enterrer, en plus d’être nombreux, sont contagieux. Une erreur est vite arrivée.

Lors des conflits, il faut souvent creuser des fosses communes pour éviter de laisser les cadavres pourrir sur le champ de bataille. Des blessés, laissés pour morts, sont ainsi enterrées précipitamment. Balzac fait de ce cas le centre de l’intrigue du Colonel Chabert. Hyacinthe Chabert, colonel dans la Garde impériale, est blessé à la tête lors de la bataille d’Eylau, très meurtrière. Il est jeté dans une fosse commune, nu, mais y reprend ses esprits. Il doit alors se frayer un chemin vers la surface au milieu des couches de cadavres, s’aidant d’un bras récupéré sur un corps voisin. Il parvient à faire émerger sa tête mais s’évanouit ; heureusement pour lui, un couple de paysans passe par là et le recueille. Il passera le reste du roman à tenter de faire reconnaître qu’il est bien ce colonel revenu d’entre les morts. Lors de la guerre du Vietnam, les autorités américaines rapatriaient les corps de leurs soldats tués. Arrivés à destination, l’inspection des cercueils révéla des traces à l’intérieur, coups et griffures, témoignages d’hommes encore vivants ayant tenté de s’en extirper.

La catalepsie ou l’apparence de la mort

Différencier la mort de l’apparence de la mort a particulièrement intéressé Edgar Poe, qui consacre plusieurs nouvelles au sujet. Dans L’inhumation prématurée, il conte le récit d’un homme souffrant de catalepsie, qui le laisse dans un état semblable à la mort. Sa plus grande crainte est d’être enterré par erreur en cas d’accès de catalepsie. Il renonce à voyager et aménage son cercueil et le caveau familial de telle sorte qu’il puisse en sortir sans peine. Des vivres sont disposés dans le caveau, lui-même relié à une cloche permettant de prévenir la maisonnée. Et pourtant, il se réveille un jour allongé dans un espace sombre, confiné, sentant la terre…

Dans La chute de la maison Usher, du même Edgar Poe, la sœur de Roderick Usher souffre elle aussi d’un état cataleptique. Sa santé déclinant, elle finit par être enterrée dans le caveau familial. Par un soir de tempête, son frère et son ami entendent des bruits dans la maison quand les portes de la pièce dans laquelle ils se tiennent s’ouvrent brusquement et laissent paraître la défunte, encore drapée dans son linceul. A cette vue, le narrateur sort de la maison, qui, immédiatement après, rougeoie, se fissure et s’écroule derrière lui.

« Ô fortuné poignard, prends ma poitrine pour fourreau ! », William Shakespeare, Roméo et Juliette : drame en 5 actes (illustrations de Maurice Berty), Paris, Nilsson, 1930. BnF, LLA, 8-Z-25166 (13).
« Ô fortuné poignard, prends ma poitrine pour fourreau ! », William Shakespeare, Roméo et Juliette : drame en 5 actes (illustrations de Maurice Berty), Paris, Nilsson, 1930. BnF, LLA, 8-Z-25166 (13).

Se donner l’apparence de la mort

L’état de mort apparente n’est pas forcément naturel. Il peut aussi être recherché comme dans Roméo et Juliette, où cette dernière avale une potion qui la laisse comme morte. Portée au caveau familial, Roméo la rejoint mais il n’a pas reçu la missive l’informant du stratagème. Désespéré, il se suicide ; quand Juliette se réveille, elle découvre le cadavre de son amoureux et se plante le poignard dans le cœur pour le rejoindre dans la mort.

Cet état de mort apparente peut aussi avoir été provoqué à l’insu de la victime, comme dans La Belle au bois dormant, où l’héroïne est plongée dans un sommeil d’un siècle après s’être piqué le doigt à un fuseau. En Haïti, le phénomène de zombification3 vise à faire passer sa victime pour morte. Elle est enterrée, puis déterrée par la personne qui l’a zombifiée et qui la maintient sous son emprise. Pour ce faire, cet adepte du culte vaudou utilise de la tétrodotoxine, une toxine présente dans la chair du tétraodon, qui paralyse les muscles et donne l’aspect de la mort. Pour éviter ce désagrément, des Haïtiens surmontent les tombes de leurs proches avec un amoncellement de briques et de ciment, rendant l’exhumation impossible.

Alphonse Legros, La veillée mortuaire (3e état), ca. 1855-1861. BnF, EST, Fol-DC-310 (3).
Alphonse Legros, La veillée mortuaire (3e état), ca. 1855-1861. BnF, EST, Fol-DC-310 (3).

Les signes de la mort et les moyens de la constater

Des bulletins de décès dévoilent des cas de personnes déclarées mortes, puis revenues à la vie peu après. Pour éviter de telles situations, les morts n’étaient pas enterrés immédiatement mais veillés par leur famille, pour leur rendre les derniers hommages, mais aussi vérifier qu’ils ne se réveillaient pas. Dans la Rome antique, le mort était veillé trois jours, et le bruit des lamentations de la famille pouvait réveiller le trépassé. Au début du XVIIIe siècle, 3 à 4 % des testaments parisiens demandent que le corps soit exposé suffisamment longtemps à cette fin. Les dispositions testamentaires pouvaient être plus énergiques, comme Elisabeth d’Orléans qui demande ainsi, en 1696, qu’on donne deux coups de rasoir à son cadavre sous la plante des pieds pour s’assurer de son décès. Dans son testament, Alfred Nobel demanda qu’après sa mort, on lui coupe les poignets et que son corps soit brûlé.

La médecine s’est penchée sur le constat du décès. Il convenait premièrement de définir la mort et d’en reconnaître les manifestations. Hippocrate la décrit ainsi : visage exsangue, yeux excavés, joues affaissées. L’insensibilité du corps a longtemps été considérée comme caractéristique du décès, alors qu’elle peut être provoquée par des endorphines. Le chirurgien Larrey a utilisé un miroir placé devant la bouche du présumé mort pour vérifier le dépôt de buée, signe de respiration. De la salive ou de la mousse de savon placées sur la bouche ou les narines ont aussi servi à repérer ces signes de respiration.

Eugène Bouchut, dans son Traité des signes de la mort et des moyens de prévenir les enterrements précipités4, déclare que la pupille de l’individu à l’agonie est contractée tandis que celle du mort est dilatée. Une tache apparaît également sur l’œil plusieurs heures après le décès. Séverin Icard utilise la fluorescéine pour constater l’arrêt de la circulation. Ce colorant vert, utilisé en karstologie pour repérer les circulations d’eau souterraines, sera amené dans les yeux rendus ainsi verts si le sujet est encore vivant et que son sang circule encore dans ses veines. Icard propose même un tube auto-injectable pour procéder au test. Il présente aussi d’autres appareils comme ce speculum laryngien pour inspecter les voies respiratoires, ou des pinces pourvues d’une encoche. Si la personne est morte, la trace laissée par la pince subsiste, mais elle disparaît rapidement en cas de mort apparente.

À la fin du XVIIIe siècle, l’électricité5 est proposée pour constater le décès, en pleine époque du galvanisme et du mesmérisme. La chimie est également convoquée. Le même Icard décrit ces morceaux de papier ou de métal, placés sous les narines du mort après avoir été imbibés de réactifs qui changent de couleur au contact de gaz sulfurés dégagés par la putréfaction du corps.

Dépôts mortuaires et cercueils sécurisés

Une autre méthode vise à donner au présumé mort le moyen de signaler sa présence. Au début du XXe siècle, l’hôpital de Milan possède une salle d’observation équipée d’avertisseurs sonores reliés aux lits où sont placés les présumés morts ; cette salle est chauffée en hiver. Des dépôts mortuaires ont pu exister comme à Bruxelles, où les corps étaient exposés un moment. Les cellules mortuaires, bien ventilées, permettaient de constater des réveils éventuels. Des cercueils ont également été dotés de systèmes d’alerte. Chez Johann Gottfried Taberger, il s’agit de relier les membres de l’inhumé par des ficelles elles-mêmes reliées à une cloche à l’extérieur ; tout mouvement de l’enterré devait tirer sur la ficelle et faire sonner la cloche. De nombreux brevets de cercueils sécurisés sont déposés au XIXe siècle. Le signal peut consister en un drapeau que l’enterré peut actionner, ou en un circuit électrique relié à une sonnette, identique au système reliant les pièces d’un domicile à la loge des domestiques.

Il ne suffit pas de signaler le réveil de l’enterré ; il faut aussi assurer sa survie. Les cercueils sécurisés proposent leur aération, un tube les reliant à la surface. L’enterré doit également pouvoir sortir lui-même du cercueil, grâce à des systèmes d’ouverture facile.

Jean-Vincent Laborde, « Procédé manuel des tractations rythmées de la langue », Le signe automatique de la mort réelle déduit de l'action négative du procédé des tractions rythmées de la langue, Paris, Schleicher frères, 1900. BnF, SCT, 8-TC54-109.
Jean-Vincent Laborde, « Procédé manuel des tractations rythmées de la langue », Le signe automatique de la mort réelle déduit de l’action négative du procédé des tractions rythmées de la langue, Paris, Schleicher frères, 1900. BnF, SCT, 8-TC54-109.

La réanimation

A ces méthodes passives de constat du décès et d’aide au réveil vont s’ajouter les divers procédés de réanimation. De nombreuses substances irritantes sont utilisées : sels, moutarde, ail, jus d’oignon, etc. Les parties sensibles du corps sont soumises à rude épreuve : frottement des gencives, stimulation de la peau à coups de fouet ou orties, lavements, scarification des bras et des omoplates, application d’un fer rouge sous la plante des pieds ou sur la tête, introduction d’une aiguille sous l’ongle d’un doigt de pied, etc. Les membres sont violemment étirés, et les tympans du mort subissent les bruits et les cris les plus stridents ou assourdissants.

Des expériences ont été réalisées sur des noyés, dont certains purent être ramenés à la vie. Au XVIIIe siècle, on utilise un fourneau à tabac dont l’extrémité est introduite dans le fondement du noyé et dégage une fumée particulièrement irritante, propre à réveiller un mort. Au siècle suivant, Félix-Archimède Pouchet présente une table inclinée pour y placer les noyés et leur appliquer un courant d’eau chaude pour les réchauffer. Jean-Vincent Laborde décrit une méthode de traction linguale, effectuée manuellement ou à l’aide de tracteurs mécaniques plus ou moins perfectionnés. Des respirateurs artificiels, qualifiés de spirophores, sont mis au point, et des gestes de réanimation sont enseignés pour apporter les premiers soins.

Et encore de nos jours

Cette crainte de l’enterrement précipité n’a pas disparu de nos jours. Joshua Piven explique comment s’en défaire dans Scénario catastrophe : manuel de survie, situations extrêmes6. En cas de réveil dans un cercueil, il faut conserver son calme, nouer sa chemise autour de sa tête, briser le cercueil, ramener la terre vers ses pieds et tenter de se redresser peu à peu pour regagner la surface. La chemise nouée évite d’être étouffé par la terre qui tombe. Le cercueil ne doit pas être de trop bonne qualité, et la terre pas trop tassée. Mais que faire en cas d’incinération ?…

Pour aller plus loin

Du XVIIe à la fin du XXe siècle, la Bibliothèque royale puis nationale a employé un système de classement thématique des ouvrages : la cotation Clément – nommé d’après Nicolas Clément, commis de la Bibliothèque du Roi de 1691 à 1712. Chaque discipline y était identifiée à une lettre de l’alphabet. Au XIXe siècle, le classement évolue et répartit les champs du savoir en divisions (les grandes disciplines, marquées par une lettre capitale), découpées en chapitres (marqués par une lettre minuscule) et en sous-chapitres (marqués par un nombre en exposant).

Les sciences médicales occupent la division T, qui comprend quelques 600 chapitres et sous-chapitres. L’un d’entre eux, au sein du chapitre Hygiène (Tc), est consacré à la mort apparente et aux inhumations précipitées : le lettrage Tc54.

Réécoutez la conférence sur le site des Rendez-vous de l’histoire de Blois.

Bibliographie

  1. Quentin Tarantino, Kill Bill : Volume II, [Boulogne-Billancourt], TF1 vidéo, 2005 []
  2. Rodrigo Cortés, Buried, [Paris], Studio 37, 2011 []
  3. Yves Saint-Gérard, Le phénomène zombi : la présence en Haïti de sujets en état de non-être, Toulouse, Érès, 1992 []
  4. Eugène Bouchut, Traité des signes de la mort et des moyens de prévenir les enterrements prématurés, Paris, J.-B. Baillière, 1883 []
  5. Carl Caspar Creve, Vom Metallreize, einem neuentdeckten untrüglichen Prüfungsmittel des wahren Todes, Leipzig, W. Heinsius, 1796 []
  6. Joshua Piven, Scénario catastrophe : manuel de survie, situations extrêmes, Paris, Éds. 365, 2007 []

Luc Menapace

Chargé de collections en biologie et paléontologie au département Sciences et techniques

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OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Luc Menapace (11 octobre 2024). Enterré vivant : mort apparente et enterrement précipité. L'Histoire à la BnF. Consulté le 20 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12gc9


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