« Sortir de la guerre » : L’Allemagne et la naissance du Reich de Weimar

En France, l’Allemagne a souvent été considérée comme le principal pays vaincu, comme l’illustre cette caricature de janvier 1919. La Guerre mondiale avait en effet catalysé un sentiment revenchard qui existait depuis la guerre franco-prussienne de 1870. Même si la République française cultivait le deuil des provinces perdues d’Alsace et de Moselle, arrachées suite à l’entrevue de Bismark et Napoléon III à Ems et lors du traité de Francfort de 1871, elle avait su modérer le désir de revanche jusqu’à la mobilisation d’août 19141. Après quatre années de conflit, les choses avaient cependant bien changé.

La gravure consacrée au traité de Francfort de 1871, et publiée dans L’Illustration le 11 mars 1871, fut alors fréquemment utilisée dans la presse française comme contrepoint avec le renversement de positions entre la France et l’Allemagne en 1919.
Face aux mutineries, à l’établissement de conseils de soldats et d’ouvriers et à la menace d’une révolution socialiste en Allemagne, l’empereur Guillaume II fut forcé d’abdiquer avant même l’armistice, le 9 novembre 1918, malgré une série de lois tentant de démocratiser et de parlementariser le régime impérial en octobre 1918. Il s’exila et finit sa vie aux Pays-Bas. L’attention de la presse française se porta particulièrement sur la destinée du monarque déchu et de sa famille, en constatant d’ailleurs la résurgence de manifestations impériales lors des funérailles de son épouse en avril 1921. La vision de casques à pointe suscitait toujours des commentaires suspicieux en France.

Robert Sennecke Internationaler. BnF, EST, EI-13 (2986).
La république de Weimar fut proclamée le 9 novembre dès l’abdication de Guillaume II, par le député Philipp Scheidemann, membre du SPD. Il prenait de court la Ligue spartakiste du communiste Karl Liebnecht, qui voulut proclamer deux heures plus tard la république socialiste libre d’Allemagne, sur le modèle soviétique.
Une assemblée constituante fut élue le 19 janvier 1919 et Friedrich Ebert devint le premier président de la république le 11 février 1919. Berlin demeurant le théâtre de troubles et d’affrontements, l’assemblée se réunit à Weimar. La constitution du nouveau Reich fut adopté le 31 juillet et entra en application le 11 août. Elle instaurait une république à la fois fédérale et plus centralisée que ne l’avait jamais été l’Allemagne, d’inspiration démocratique, libérale et sociale, définie de la manière suivante :
Le Reich allemand est une république.
Le pouvoir émane du peuple2.
Dominé par le royaume de Prusse, ennemi récurrent de la France depuis la fin du XVIIIe siècle, l’empire allemand fondé en 1871, et qui en quelques années s’était étendu jusqu’en Afrique, dans le Pacifique et en Chine, prit ainsi fin après un peu moins de cinquante ans d’existence. Ces quatre cartes présentent notamment l’évolution des frontières de la Prusse en 1807 et en 1815, puis de l’Allemagne en 1871 et en 1918.
Une autonomie et des frontières réduites
Le traité de Versailles signé le 28 juin 1919 , dans le cadre de la conférence de paix de Paris qui dura de janvier à août 1919, consacra l’éclatement de l’empire allemand. Dans cet article de juillet 1919, les armées françaises sont présentées comme prêtes à attaquer l’Allemagne en cas de refus de signature du traité de sa part. Cet article du 18 mai 1919 paru dans Le Miroir listait les mesures prévues contre l’Allemagne, avant la signature définitive du traité de Versailles. Les sanctions contre l’Allemagne furent en outre précisées lors de la première Conférence de Londres de février à mars 1921. Les mesures qui furent imposées à l’Allemagne, malgré ses protestations, nourrirent un fort ressentiment au cours des décennies suivantes, celui se manifestant particulièrement sous le Troisième Reich.
Les réparations et indemnités de guerre allemandes étaient d’ordres divers, comprenant par exemple l’envoi de chevaux et de bovins, en remplacement de ceux réquisitionnés par les Allemands dans les pays occupés. De manière générale, la presse traduisit surtout à partir de 1921 l’impatience française quant aux réparations allemandes qui n’atteignaient pas le niveau escompté.

Le désarmement
L’Allemagne fut obligée de se désarmer, y compris en ce qui concernait la population civile, de démanteler sa flotte militaire, de fermer ses écoles militaires ou de détruire des places fortes, tout en conservant des troupes censées contenir d’éventuels mouvements bolcheviks sur son territoire, voire chez ses voisins baltes.

La question du désarmement de l’Allemagne était l’un des sujets liés à l’actualité allemande auxquels la presse française consacrait le plus d’articles.
- « La fin du militarisme allemand » (12 mars 1919)
- « La destruction des armes et des munitions se poursuit en Allemagne » (30 octobre 1920)
- « Le démantèlement des forts du canal de Kiel » (6 novembre 1920)
- « Le désarmement de la population civile en Allemagne » (22 décembre 1920)
- « Où en est la question du désarmement de l’Allemagne » (8 juin 1921)
La France souhaitait en outre particulièrement récupérer la flotte de guerre allemande.
- « Un des grands docks flottants du port de Kiel est livré à la France » (15 octobre 1920)
- « Quatre croiseurs allemands devenus français viennent d’arriver à Brest » (21 octobre 1920)
La perte de territoires frontaliers…
L’Allemagne perdit également des territoires.

L’Alsace-Lorraine redevint française, les statues allemandes y furent rapidement mises à bas comme à Metz, où elles furent entreposées dans un cimetière, et celles de l’hôtel des Postes de Strasbourg furent décapitées.

Les cantons d’Eupen et Malmédy devinrent belges, une partie du Schelswig redevint danois. La question du Schleswig était néanmoins complexe, source de conflits, et le tracé de la frontière ne se résolut non pas uniquement par le traité de Versailles, mais à la suite de deux votes de plébiscite dans les régions nord et centrale en février et mars 1920, notamment sous contrôle français. La situation demeura néanmoins tendue au Danemark à la suite des plébiscites.
Le plus problématique pour l’Allemagne demeura les pertes sur ses frontières orientales au profit de la Pologne. Non seulement le corridor polonais de Dantzig coupa l’Allemagne en deux, mais le partage de la Haute-Silésie lui fit perdre un précieux bassin houiller. Le fait que des Allemands de Haute-Silésie vivaient en outre désormais sous un gouvernement polonais, donc slave, fut vécu comme tout particulièrement inacceptable.

… et de l’empire colonial
L’Allemagne perdit également définitivement les protectorats et les colonies qu’elle s’était constitués à la fin du XIXe siècle, notamment en Afrique entre 1883 et 1885 et dans le Pacifique entre 1884 et 1900, ce qui ne signifia pas pour autant une indépendance pour ces territoires que se répartirent les vainqueurs, parfois avant même l’armistice de 1918. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ne s’appliquait (très partiellement d’ailleurs) qu’aux peuples d’Europe. Les territoires concernés étaient les suivants :
- le Cameroun (divisé entre la France, pour l’essentiel, et la Grande-Bretagne). Cet article du Miroir du 20 avril 1919 présenta notamment les Allemands du Cameroun rapatriés en Allemagne, via l’Angleterre puis les Pays-Bas ;
- le Togo (divisé dès 1916 entre la France et la Grande-Bretagne) ;
- l’Afrique orientale allemande (divisé entre le Ruanda-Burundi sous mandat belge et le Tanganyika sous mandat britannique) ;
- le Sud-Ouest africain (actuelle Namibie, passant sous mandat britannique et sous tutelle de l’Afrique du Sud) ;
- les Samoa allemandes (sous mandat néo-zélandais) ;
- la Nouvelle-Guinée allemande (la Terre de l’Empereur-Guillaume, l’archipel Bismarck, les Salomon allemandes, l’île Bougainville, l’île Buka, Nauru passant sous mandat australien, tandis que les îles Marshall, l’archipel des Palaos, les îles Carolines et les îles Mariannes du Nord passèrent sous tutelle japonaise) ;
- les concessions en Chine à Tianjin (récupérée par la Chine) et dans la baie de Jiaozhou (comptoir allemand concédé au Japon par le traité de Versailles, malgré les protestations de la Chine qui le récupéra en 1922). Précisons que si l’Allemagne perdit sa concession à Tianjin, tout comme la Russie, l’Autriche et la Hongrie, les autres concessions européennes et la concession japonaise de Tianjin demeurèrent.
L’occupation de l’Allemagne
L’Allemagne fut occupée en partie par les troupes alliées, ce qui constitua une source d’instabilité accrue. La Une de l’Excelsior du 1er janvier 1919 présenta la répartition de l’occupation de l’Allemagne entre les troupes américaines, belges, britanniques et françaises, puis la configuration de cette même occupation et des effectifs militaires le 5 mars 1921. De manière symbolique, la gigantesque statue équestre de Guillaume 1er à Coblence se retrouva ainsi garnie de soldats américains. Le traité de Versailles consacra cette occupation d’une partie de l’Allemagne par les troupes des Alliés, installées en Rhénanie de 1918 à 1930. La France continua quant à elle à administrer la Sarre et ses bassins houillers jusqu’en 1935 et au plébiscite entraînant le rattachement de cette région à l’Allemagne.
L’occupation de la Ruhr et la résistance allemande
Après une première occupation en 1921, approuvée par les Alliés, de Duisbourg au nord et Düsseldorf au sud jusqu’à Ratingen à l’est, à partir du 11 janvier 1923 les troupes françaises et belges occupèrent le bassin minier et industriel de la Ruhr afin d’obliger l’Allemagne à payer ses indemnités de guerre, et ceci en dépit du désaccord avec la Grande-Bretagne. Des ingénieurs accompagnaient les troupes, car l’un des objectifs était d’obtenir directement les ressources minières allemandes pour les envoyer en France, en Belgique et en Italie.

Les lecteurs de l’Excelsior purent suivre jour après jour l’avancée des troupes françaises et belges dans la Ruhr en Une de ce périodique.
- « Nos soldats et nos ingénieurs entrent aujourd’hui dans la Ruhr » (11 janvier 1923)
- « Les troupes et les ingénieurs français sont entrés hier à Essen » (12 janvier 1923)
- « L’occupation de la ville d’Essen par trois divisions françaises » (13 janvier 1923)
- « Malgré quelques tentatives des étudiants nationalistes le calme règne à Essen » (14 janvier 1923)
- « Les troupes franco-belges ont occupé la ville de Bochum hier » (16 janvier 1923)
- « Dortmund sous l’occupation française » (20 janvier 1923)
- « Les douaniers et les soldats français et belges dans la Ruhr » (3 février 1923)
- « Ce que peut coûter à l’Allemagne le blocus intérieur de la Ruhr » (4 février 1923)
- « Le blocus intérieur du bassin de la Ruhr est depuis plusieurs jours absolument complet » (8 février 1923)
- « L’occupation d’Offenbourg, important nœud de chemins de fer, en territoire badois » (14 février 1923)
L’accès à la Ruhr fut en outre interdit aux ministres allemands et des fonctionnaires allemands furent expulsés de la région. L’occupation s’étendit jusqu’aux ports de Mannheim et de Karlsruhe, ce qui nécessitait un nouveau besoin de justification française afin de prouver que ces nouvelles actions militaires étaient conformes au traité de Versailles.
L’occupation de la Ruhr dura jusqu’en 1925, et donna lieu à une résistance allemande qui prit diverses formes : manifestations, grèves, attentats ou sabotages. Dès le 14 janvier 1923 des manifestations eurent lieu, notamment à Berlin et à Munich pour protester contre cette occupation. Les grèves d’ouvriers, de mineurs et de cheminots se multiplièrent dans la région. La première de ces grèves ne fut pas un simple feu de paille comme l’espérait la presse française.
- « L’attitude des ouvriers dans la Ruhr » (22 janvier 1923)
- « Dans la Ruhr : la grève des mineurs n’est que partielle et les transports fonctionnent » (23 janvier 1923)
- « Il n’y a pas de grève générale dans la Ruhr » (24 janvier 1923)
- « La résistance s’accentue dans la Ruhr et aussi en Rhénanie » (12 février 1923)
- « Peu à peu la violence se substitue à la résistance passive des premiers temps dans la Ruhr » (19 février 1923)
- « Bochum, noyau de la résistance dans la Ruhr » (26 février 1923)
- « On parle toujours des propositions allemandes, mais les attentats continuent » (17 mars 1923)
- « Les attentats et les actes de sabotage se poursuivent en Allemagne occupée » (19 mars 1923)
- « Nos soldats furent attaqués hier à Essen » (1er avril 1923)
Friedrich Ebert, le président du Reich, appela lui-même à la résistance contre l’occupation. La « résistance passive » était de fait souvent très active depuis Berlin même. Cette résistance ne fut toutefois pas forcément toujours violente, des restaurants de Berlin refusèrent ainsi en guise de protestation les clients de nationalité française ou belge. Des arrestations et des condamnations liées à la participation à cette résistance, dont celle du maire d’Essen, eurent lieu, mais n’entravèrent pas la poursuite de la résistance allemande. Cette dernière passa notamment par plusieurs blocages et sabotages des chemins de fer. Afin d’éviter les sabotages et les attentats contre les chemins de fer, des otages allemands furent mis dans le fourgon en tête de train, à l’exemple d’un maire obligé de faire quotidiennement le trajet entre Essen et Düsseldorf. Outre la venue d’un contingent de cheminots français destinés à remplacer les grévistes allemands, la France et la Belgique tentèrent de négocier l’utilisation des chemins de fer se trouvant dans la zone d’occupation britannique, ce que le gouvernement britannique finit par accepter.
L’occupation fit de nombreuses victimes parmi les Allemands, mais la presse française était plus préoccupée par les pertes du côté des armées d’occupation, à l’exemple du meurtre de deux soldats français, ou de soldats belges morts dans un attentat. Outre le fait de motiver des discours contre la France au sein du parti nazi lors de ses défilés, l’occupation de la Ruhr risquait de devenir un nouveau motif en Russie pour reprendre la guerre.
L’occupation de la Ruhr, associée aux conditions économiques et sociales, favorisa les manifestations et pillages, par exemple en avril 1923 à Mülheim an der Ruhr ou en mai à Gelsenkirchen. La situation économique désastreuse de l’Allemagne continuait en effet à engendrer des manifestations et des grèves à travers le pays et fragilisait le pouvoir en place jusqu’à Berlin, où la ville fut décrite à l’été 1923 comme dépourvue d’eau courante, d’électricité et de gaz du fait des grèves en cours. Berlin manquait d’ailleurs également de papier monnaie. Les cérémonies de l’anniversaire de la Constitution de Weimar en août 1923 se déroulèrent dans une atmosphère tendue, et sous la menace persistante de manifestations communistes, avant tout à Berlin, mais également à Essen, dans la Ruhr occupée, ou bien à Düsseldorf. Ces manifestations se poursuivirent au cours de l’automne 1923. Entre pillages à Düsseldorf, barricades communistes à Hambourg, arrestations de députés communistes en Saxe, l’Allemagne était décrite comme vivant dans le chaos et la terreur. Les émeutes et pillages à Berlin en novembre 1923 furent quant à elles décrites comme ayant en outre un caractère antisémite.
Une situation de guerre civile continuelle
La révolution allemande débuta dès le mois d’octobre 1918, avec de multiples foyers d’insurrection à travers le pays. Les socialistes allemands étaient alors partagés entre les modérés et les radicaux, tels que la Ligue spartakiste, qui s’inspiraient de la révolution bolchevique en Russie. La révolte spartakiste de Berlin, violemment réprimée par la république de Weimar, eut lieu du 5 au 12 janvier. La presse française se fit l’écho des combats de rue à Berlin en janvier 1919 : « De l’hôtel du Berliner Tageblatt des mitrailleurs tirent sur la foule ». Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, cofondateurs de la Ligue spartakiste et du parti communiste d’Allemagne, furent assassinés le 15 janvier 1919, à la suite de leur arrestation.
La situation à proprement parler explosive de l’Allemagne vaincue inquiétait particulièrement les Alliés, comme en témoigne la presse de l’époque qui consacra un grand nombre de pages à la révolution allemande, au déploiement de troupes armées, aux violences, et d’une manière générale à la crainte de voir les bolcheviks allemands l’emporter.
- « La bataille dans les rues de Berlin » (19 janvier 1919)
- « La révolution à Berlin » (2 février 1919)
- « Pendant la guerre des rues à Berlin » (2 février 1919)
- « À Berlin, pendant la lutte, des agents de la Croix-Rouge relevaient les victimes » (9 février 1919)
- « La terreur rouge s’éteignit dans le sang » (9 février 1919)
- « Les dernières batailles dans les rues de Berlin » (9 février 1919)
- « Après un dernier choc, Spartakus succombe » (9 février 1919)
Après ce qui put apparaître comme une accalmie en février 1919, les affrontements reprirent et firent un millier de victimes uniquement à Berlin au mois de mars.

- « Le nouvel accès révolutionnaire de l’Allemagne » (16 mars 1919)
- « Les Gothas ont bombardé Berlin » (21 mars 1919)
- « La plus grande manifestation spartakiste et sa répression » (26 mars 1919)
- « Trois photographies sensationnelles » (14 mai 1919)
- « Les bourgeois de Leipzig manifestent : “Pas de chaos ni d’anarchie” » (1er juin 1919)
L’assassinat de Kurt Eisner, premier ministre-président socialiste et ministre des Affaires étrangères de Bavière le 21 février 1919 précipita une radicalisation de la Bavière, une grève générale et la proclamation le 7 avril de la République des conseils de Bavière, un régime de type soviétique que la République de Weimar réprima également violemment jusqu’au 3 mai.
Au-delà même des évènements du printemps 1919, Berlin demeurait toujours plongé en octobre 1919 dans « une inquiétante insécurité ».
Si la révolution allemande est souvent considérée comme durant de 1918 à 1919, de fait la « crise intérieure » de l’Allemagne se poursuivit en 1920, et les troubles menaçant la république de Weimar continuèrent jusqu’à la fin de l’année 1923 et au début du redressement de l’économie allemande.
- « Les dernières émeutes de Berlin ont été particulièrement sanglantes » (19 janvier 1920)
- « Un sanglant épisode révolutionnaire à Berlin » (25 janvier 1920)
Le putsch de Kapp
Le putsch militaire de Kapp en mars 1920 contre la république de Weimar intéressa également particulièrement la presse française, en tant que nouvel épisode d’une instabilité inhérente à l’Allemagne. Il s’agissait d’un nouvel exemple d’une révolution qui semblait continuelle. La division du pays était plus que jamais prégnante. Après une grève générale de quatre jours, les manifestations et les affrontements sanglants qui eurent lieu à travers l’Allemagne, notamment dans la Ruhr, eurent raison de cette tentative de coup d’état conservateur. La présence de forces d’occupation étrangères, notamment françaises dans le Land de la Hesse, avait attisé d’autant plus la colère des Allemands. Les images de cette nouvelle période insurrectionnelle montraient alors une Allemagne en état de guerre, à l’exemple de cette photographie de mitrailleuse installée dans une tranchée creusée dans une rue pavée de Berlin.

Le lynchage de soldats par des civils constituait une source d’étonnement en France, où l’Allemagne était vue comme un pays traditionnellement respectueux de son armée. Une fois le coup d’État de Kapp passé, la persistance du mouvement socialiste, identifié à celui des soviets, en Allemagne demeurait toujours source d’inquiétude pour la France. Une révolte communiste eut en effet également lieu en mars 1920 dans la Ruhr. Les forces alliées intervinrent, notamment afin de maintenir l’ordre dans ce contexte de guerre civile, et de contenir les manifestations de colère quant à l’occupation étrangère de l’Allemagne, par exemple en occupant temporairement Francfort-sur-le-Main et Darmstadt.
- « Après les échauffourées de Francfort-sur-le-Mein » (10 avril 1920)
- « L’occupation de Francfort et la suppression des gardes civiques allemandes » (14 avril 1920)
- « L’arrivée du bataillon belge à Mayence et Francfort » (16 avril 1920)
Ainsi que le prédisait cet article du 11 avril 1920 intitulé « La crise allemande durera longtemps », le putsch de Kapp ne constitua pas le dernier épisode agitant l’Allemagne. Des personnalités communistes telles que Max Hoelz, qui participa à la fois au soulèvement de la Ruhr contre le putsch de Kapp et à des actions armées et terroristes à travers l’Allemagne, faisaient figure de danger permanent aux yeux des Français. Il fut ainsi assimilé à un dictateur dans cet article du 2 mai 1920.
De l’action de Mars au putsch de la Brasserie (1921-1923)
En mars 1921 eut lieu l’action de Mars (soulèvement mené par le Parti communiste d’Allemagne et le Parti communiste ouvrier d’Allemagne), à laquelle participa d’ailleurs Max Hoelz. Des manifestations, organisées notamment par des communistes, eurent de nouveau lieu le 31 août 1921 à Berlin.

Les heurts continuaient de survenir autour de manifestations communistes à Berlin en 1922. Des manifestations et des rumeurs sur un nouveau projet de renversement de la république de Weimar circulaient toujours en Allemagne au début de l’année 1923, y compris dans la Ruhr occupée par les Français et les Belges. Le projet d’insurrection de l’Octobre allemand, organisé en 1923 par le Parti communiste d’Allemagne et l’Internationale communiste, échoua néanmoins.
La Bavière était quant à elle concernée par la préparation d’un autre coup d’État par les partisans d’Hitler. La ville de Cobourg prenait ainsi « un aspect militaire » avec la préparation de troupes nazies. Le putsch de la Brasserie organisé à Munich le 8 novembre 1923 par Adolf Hitler fut rapidement maîtrisé, et devint, malgré son échec, une référence pour le parti nazi.
La République rhénane (1923-1924)
Une tentative séparatiste eut lieu en Rhénanie, où elle couvait depuis la fin de la guerre, tout d’abord en 1919 avec une série de soulèvements, puis d’octobre 1923 à février 1924 avec la proclamation de la République rhénane, constituée du Nord (Aix-la-Chapelle), du Sud (Coblence) et de la Ruhr (Essen), Cologne en étant la capitale. Les Français et les Belges virent avec inquiétude cette nouvelle république s’étendre dans leurs propres zones d’occupation de la Ruhr. La situation dans l’Allemagne non occupée préoccupait alors les Français, au vu des velléités séparatistes qui risquaient de se manifester également en Bavière, dans la Saxe ou en Thuringe.
- « Le mouvement rhénan rencontre une vive résistance » (25 octobre 1923)
- « Le gouvernement rhénan tente de vaincre les difficultés qui se dressent devant lui » (28 octobre 1923)
- « Le gouvernement provisoire de la république rhénane constitue à Coblence » (29 octobre 1923)
- « Les projets de république rhénane » (7 novembre 1923)
La République rhénane prit définitivement fin avec le massacre de séparatistes dans le tribunal de Pirmasens le 12 février 1924.

Pour aller plus loin :
- LE NAOUR, Jean-Yves, 1919-1921 : sortir de la guerre, Paris, Éditions de Noyelles, 2021
- À l’Est la guerre sans fin, 1918-1923 [exposition, Paris, Musée de l’Armée, 5 octobre 2018-20 janvier 2019], Paris, Gallimard : Musée de l’Armée, 2018
- VERLUISE, Pierre, « Après 1914-1918 : une Europe redessinée par les traités », Constructif, 2019/1 (n° 52), p. 5-9. Article présentant une carte consacrée aux frontières européennes, d’après les traités, en 1923. Consultable en ligne sur Cairn dans les salles de la BnF à partir de la banque de liens.
- SALMON, Roseline, « La sortie de guerre de la république d’Autriche (1918-1921) », Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques, Année 2013, n° 136-5, p. 31-39
Tous les articles de la série « Sortir de la guerre »
- Introduction – Conflits multiples, fins d’empires et nouvelles frontières : la longue et difficile sortie de guerre après 1918
- Partie 1 – Russie, Europe du Nord, Ukrainiens et Arméniens
- Partie 2 – L’Allemagne : la difficile stabilisation du « Reich de Weimar »
- Partie 3 – Autriche, Hongrie, Tchécoslovaquie et Yougoslavie : la Mitteleuropa après les Habsbourg
- Partie 4 – Pologne et Roumanie : des vainqueurs ambitieux en Europe
- Partie 5 – Turquie et Proche-Orient
- Voir par exemple Bertrand Joly, « La France et la Revanche (1871-1914) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. 46/2 (Avril-juin 1999), p. 325-347. [↩]
- Art. 1 de la Constitution de Weimar. Voir traduction française sur la digithèque MJP (université de Perpignan). Voir aussi Die Verfassung des Deutschen Reichs vom 11. August 1919, Leipzig, 1920. BnF, DEP, 16-F PIECE-418. [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Pierre-Louis Verron (18 novembre 2024). « Sortir de la guerre » : L’Allemagne et la naissance du Reich de Weimar. L'Histoire à la BnF. Consulté le 20 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12p82