A. Goderniaux, Un coup de majesté manqué – une présentation

Cet ouvrage, récemment paru aux éditions Droz, propose une édition critique de onze opuscules issus des collections de la Bibliothèque nationale de France. La transcription des textes est précédée d’une introduction historique et a été réalisée dans le cadre d’un mandat de chercheur associé au service Histoire de la Bibliothèque nationale de France.
Longtemps restés dans l’ombre des recherches historiques, ces documents méritent pourtant toute notre attention : ils offrent un éclairage de première main sur l’action d’Henri III à la fin de son règne et permettent d’entrer au cœur des jeux de pouvoir qui traversent les guerres de Religion.
Des documents méconnus
Les textes rassemblés dans ce livre sont de courts imprimés d’actualité, un type de document que les ateliers d’imprimerie français et étrangers ont produit par dizaines de milliers au XVIe siècle. Courts (entre 4 et 19 pages), souvent d’apparence modeste, ils sont pourtant des témoins éloquents des conflits civils et religieux de leur temps.

La plupart de ces onze opuscules provient des collections du département Philosophie, Histoire et Sciences de l’homme de la Bibliothèque nationale de France, où ils sont conservés dans la sous-série Le14, précisément consacrée aux États généraux de 1588. Neuf sont même réunis dans un recueil factice, formé tardivement (le recueil 8°-Le14-12), qui se concentre plus spécifiquement sur une séquence particulière des États de Blois : leurs deux premières séances, les 16 et 18 octobre 1588.
Ces documents sont les suivants :
- Le Mandement du roy pour la convocation des Estats generaux, coté F-46886 (22).
- La Harangue faicte par le roy, cotée 8o-Le14-12 (B).
- La Remonstrance faicte par monsieur le garde des seaux de François de Montholon, cotée 8o-Le14-12 (2).
- Le Remerciement fait au roy par monsieur l’archevesque de Bourges de Renaud de Beaune de Semblançay, coté 8o-Le14-12 (3).
- Le Remerciement faict au nom de la noblesse de France, coté 8o-Le14-12 (4).
- La Hanrague de monsieur le prevost des marchands de Michel Marteau, conseiller du roi, maître aux comptes et prévôt des marchands de Paris, cotée 8o-Le14-12 (5).
- Les Actes de la seconde seance des Estats, cotés 8o-Le14-12 (6).
- La Declaration du roy sur son edict de l’Union, cotée 8o-Le14-12 (A,7).
- La Briefve exhortation faicte aux Estats de ce royaume par monsieur l’archevesque patriarche de Bourges, cotée 8o-Le14-12 (7).
- La Remonstrance susdicte faicte, cotée 8o Le14-12 (A, 9).
- Et le Au roy, nostre souverain prince et seigneur de Louis Le Caron, lieutenant général de Clermont-en-Beauvaisis, coté 4o-Le14-7.
Les États généraux de 1588
Pour saisir toute la portée de ces documents, il faut les replacer dans leur contexte d’impression. En 1584, Henri III perd son frère et unique héritier, François, duc d’Anjou. L’année suivante, alors que la question de sa succession devient brûlante, un mouvement populaire et nobiliaire se forme : la Ligue catholique. Elle s’oppose à l’arrivée sur le trône d’Henri de Bourbon, roi de Navarre et futur Henri IV, que les lois fondamentales du royaume désignent pour succéder au dernier des Valois. Protestant, il est perçu par les catholiques les plus zélés comme une menace existentielle. Les tensions restent contenues jusqu’à la Journée des Barricades, le 12 mai 1588, qui oblige Henri III à fuir Paris. Dix-neuf jours plus tard, le roi convoque les États généraux par lettres patentes – premier des onze textes édités dans l’ouvrage.
L’assemblée s’ouvre à Blois le 16 octobre. Si elle reste peu connue, c’est en grande partie parce qu’un événement spectaculaire en a éclipsé le reste : l’assassinat, fin décembre, du duc et du cardinal de Guise sur ordre du roi. Par son caractère spectaculaire et ses importantes conséquences, cet épilogue sanglant a longtemps monopolisé l’attention, reléguant au second plan le reste de cette séquence, et notamment les séances inaugurales des États, les 16 et 18 octobre. Les textes étudiés dans l’ouvrage permettent de redonner toute leur importance à ces premiers échanges, riches en enjeux et révélateurs d’une intense activité politique.

BnF, RLR, Rés Fol-La25-6.
L’action politique d’Henri III
Les onze documents étudiés dans ce livre ont pour point commun d’avoir été diffusés à Paris par les imprimeurs royaux Jamet Mettayer et Fédéric II Morel. Ils relèvent donc d’une opération de communication directement pilotée par la Couronne. Aussi la version qu’ils donnent de l’assemblée est sans doute partielle, et certainement partiale. Mais c’est précisément ce qui en fait l’intérêt : ces textes rendent perceptible la stratégie politique élaborée par le roi à un moment où son autorité est singulièrement affaiblie. Ils permettent ainsi de réévaluer l’action d’un souverain souvent décrit, tant par ses contemporains que par les historiens, comme indécis, isolé ou sans envergure.
Considérés ensemble, ces documents portent la trace vive d’un projet politique méconnu, construit autour de trois principes. D’abord, Henri III cherche à gagner l’adhésion des députés, majoritairement favorables à la Ligue, tout en adressant des critiques ciblées au duc de Guise. L’objectif : se substituer à ce dernier comme chef du mouvement, puis le dissoudre. Ensuite, le roi réaffirme avec insistance le caractère sacré de sa fonction et esquisse les grandes lignes d’une réforme destinée à renforcer son autorité en centralisant le gouvernement. Enfin, en diffusant ces textes, il met en scène la réussite de ces deux stratégies : dans cette production imprimée, la scénarisation d’un dénouement idéal couronne Henri III dans un triomphe de papier.

Des textes aux enjeux multiples
Par leur contenu, leur forme et leur contexte de diffusion, ces onze textes permettent de mieux comprendre la dynamique politique de l’automne 1588. Ils offrent un accès rare aux arcanes du pouvoir, donnant à voir Henri III qui négocie en marge des séances officielles, montrant comment le roi a choisi ses interlocuteurs en fonction des équilibres politiques du moment et permettant de reconstituer les réseaux activés pour appuyer son action. Aussi ces onze documents éclairent une culture politique et une lutte de pouvoir méconnues tout en révélant que les 16 et 18 octobre 1588 devaient constituer les prolégomènes d’une révolution royale.
Bien que produits dans l’urgence, ces documents font preuve d’une réelle maîtrise rhétorique. Henri III, réputé pour ses talents d’orateur, veille à la qualité de ses prises de parole. Il s’y façonne l’image d’un prince érudit qui parviendra à assoupir les conflits civils par une alliance entre le bien-gouverner et le bien-parler. Les textes imprimés mobilisent un riche éventail de références historiques et bibliques, dûment commentées en notes et indexées. Le lexique employé s’avérant parfois technique, un glossaire a été réalisé afin de guider les lecteurs à travers ces textes peu connus mais essentiels pour comprendre les dernières années du règne d’Henri III et les luttes politiques durant les guerres de Religion.
Pour en savoir plus
Alexandre GODERNIAUX (éd.), Un coup de majesté manqué, Henri III aux États généraux de Blois (16 et 18 octobre 1588), Genève, Droz (Cahiers d’Humanisme et Renaissance n° 203), 2024.
39 €, 264 pages. ISBN : 978-2-600-06561-0
Plus d’informations sur le site de l’éditeur.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Alexandre Goderniaux (23 mai 2025). A. Goderniaux, Un coup de majesté manqué – une présentation. L'Histoire à la BnF. Consulté le 16 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/140dh