Disparition de Jean-Pierre Azéma, 14 juillet 2025

L’historien Jean-Pierre Azéma, né à Paris le 30 septembre 1937, est décédé à Paris le 14 juillet 2025. Il était spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, et plus particulièrement du régime de Vichy et de la Résistance.
Sans doute le choix de ce champ de spécialité n’est-il pas tout à fait lié au hasard. Avoir suivi à Sciences Po le séminaire que René Rémond (1918-2007) consacra au gouvernement de Vichy en 1967 se révéla certes décisif, conduisant le jeune historien à s’immerger dans la période, au risque de dénoncer très tôt une littérature qui l’irritait par son manque de rigueur et ses engagements partisans. […] Mais son histoire familiale ne fut pas étrangère à ce choix.
Quand il naît à Paris, le 30 septembre 1937, son père, le poète réunionnais Jean-Henri Azéma (1913-2000), milite à l’Action française et fréquente Robert Brasillach et Pierre Drieu la Rochelle. Sous Vichy, il devient la voix du gouvernement sur Radio Paris et travaille pour l’hebdomadaire collaborationniste et antisémite Je suis partout1.
Agrégé d’histoire en 1961, après quelques années dans l’enseignement secondaire (Troyes, puis le lycée Lakanal à Sceaux et le lycée Henri IV à Paris), il devient professeur des universités, en particulier à l’IEP.
Il publie en 1975 La Collaboration : 1940-1944 et en 1979, dans la série Nouvelle histoire de la France contemporaine, De Munich à la Libération : 1938-1944, deux ouvrages marquants qui en font l’un des historiens spécialistes de la période.
En 1985, il fait partie de la commission présidée par René Rémond, chargée d’enquêter sur les fichiers ayant servi à la persécution des Juifs pendant l’Occupation, dont le rapport fut rendu public2.
En 1987, il soutient sa thèse d’État, La France des années sombres, 1938-1948.
Il fait partie des historiens cités par les parties civiles, fin 1997, lors du procès de Maurice Papon devant la cour d’assises de la Gironde, accusé de crimes contre l’humanité.
En 2003, il publie chez Perrin sa biographie-enquête sur Jean Moulin, Jean Moulin : le politique, le rebelle, le résistant3.
Professeur au Centre de formation des journalistes, il intervient dans les médias pour dénoncer toute « instrumentalisation » et demander l’abrogation de certains articles des lois mémorielles.
Jean-Pierre Azéma était un historien bien connu du grand public. Il a écrit de nombreux articles pour la revue L’Histoire, fut conseiller de France 3 pour la série Un village français (7 saisons) et fut le scénariste du cinéaste Claude Chabrol pour son documentaire L’Œil de Vichy. Il fut en 2012 Président du comité historique de la Mission interministérielle des anniversaires des deux guerres mondiales.
Le journaliste Olivier Pascal-Mousselard, qui a suivi ses cours à Sciences Po raconte dans Télérama4 :
Il se disait lui-même « fils de la guerre », et l’expression est un fulgurant résumé de l’homme et historien que fut Jean-Pierre Azéma, qui nous a quitté le 14 juillet (1937-2025) […] il restera dans nos mémoires et dans les bibliothèques comme un des grands spécialistes de la Résistance et du régime de Vichy. « Fils de la guerre », l’homme aux écharpes autour du cou (il ne s’en séparait jamais) l’était au sens propre. Lui qui prenait grand soin de distinguer, dans les cours qu’il donnait à Sciences po et que nous suivions avec passion, la France « collaboratrice » de la France « collaborationniste », était le fils d’un collabo […].
Il ajoute :
Pour le futur historien du temps présent, ou du passé immédiat, cet héritage aurait pu être impossible à porter. Il aurait pu chercher à s’en débarrasser.
L’Histoire, au contraire, lui a permis de vivre avec, autant sans doute que ses retrouvailles tardives, en 1968, avec ce père tellement encombrant. « En causant, causant, causant, j’ai mieux compris ce qui avait pu le motiver. Cela a permis des relations plus saines », avait-il confié à la revue L’Histoire.
Eric Alary, ancien élève de Jean-Pierre Azéma, écrit dans Le Point5 :
Thésard de Jean-Pierre Azéma de 1996 à 2001, comme tant d’autres chercheuses, chercheurs, et camarades, je garde le souvenir d’un homme de principes, de valeurs, de pudeur et de grande rigueur méthodologique. Un humour décapant, parfois. Dans ses séminaires de recherche à Sciences Po Paris, Jean-Pierre Azéma aimait à nous rappeler que « l’histoire n’appartient à personne » ou encore qu’« il n’est guère de bonne mémoire si le récit historique est mouvant et incertain ».
L’historien Michel Winock, ami de Jean-Pierre Azéma, avec qui il publia et codirigea de nombreux ouvrages, se souvient pour la revue L’Histoire de leurs années d’études communes6 : « Nous nous étions connus, lui et moi, en classe terminale (la « philo ») au lycée Lakanal au début de l’année scolaire 1954-1955. Déjà il était habité par la passion de l’histoire […] ». Il ajoute :
Plus tard, nous avons préparé ensemble l’agrégation d’histoire après mon abandon des études de lettres. C’était en 1961, une année agitée, nos épreuves commençaient peu de temps après la tentative de putsch des généraux à Alger. Nous militions tous les deux à l’Unef pour la paix et l’indépendance de l’Algérie, et nos révisions en ont pâti. […] En 1964 sortait notre petit livre sur Les Communards ; cinq ans plus tard, Naissance et mort de la Troisième République. Déjà, dans cet ouvrage, mon co-auteur s’était chargé des trois derniers chapitres sur l’effondrement du régime républicain : son étude si précise de la défaite annonçait ses futurs travaux.
À la fin du texte de Michel Winock, on peut retrouver le portrait réalisé par Jean-Jacques Stéphane paru dans le n°114 de la revue L’Histoire (septembre 1988), « Jean-Pierre Azéma : Vichy au cœur », ainsi que la liste de ses articles publiés dans la revue.
Par ailleurs, L’Histoire reprend l’hommage rendu par Jean-Noël Jeanneney dans le magazine Challenges7 : « Nous pleurons un homme de bien. Le parcours de Jean-Pierre Azéma s’inscrit au premier rang d’une génération qui s’est mise passionnément au service de l’histoire politique et culturelle de la France ». L’héritage sombre du père collaborateur assumé de Jean-Pierre Azéma fait qu’« il a voulu que son œuvre scientifique fût en violent contraste avec cette figure imposée à son enfance et à son adolescence. […] C’est donc dans cette ligne qu’il choisit de consacrer ses efforts, sa lucidité, son énergie, son talent à la période de Vichy. « Vichy ? Voyez Azéma ! » Ce fut un leitmotiv dans le monde des historiens et des citoyens ardents à éclaircir une période sombre et complexe […] ». Jeanneney rappelle qu’« il avait un sens profond de l’amitié […] » et il ajoute : « Nous sommes plusieurs encore à pouvoir témoigner de la place sans pareille que Jean-Pierre Azéma s’était assurée dans la petite communauté des professeurs d’université en Histoire à Sciences Po, durant trois ou quatre décennies ».
Michel Becqembois dans Libération8 revient sur l’aspect médiatique de la carrière de Jean-Pierre Azéma.
Il n’y a pas tant d’historiens dont le visage, en plus du nom, soit familier du grand public. […] C’est le même média, la télévision, qui a fait de Jean-Pierre Azéma, dont le nom courait dans tous les amphis de France, et pas simplement dans ceux de Sciences-Po où il officiait, un historien qui dépassait sa discipline. Après chaque épisode de la série Un village français, diffusée sur France 3 de 2009 à 2017, il intervenait face caméra en recontextualisant la fiction, la faisant résonner jusqu’à notre époque.
Celui qui était aussi consultant pour le scénario de la série trouvait là un espace d’intervention en forme de séquences didactiques où il reprenait avec les mots de l’historien la vie des personnages d’un village jurassien durant la Seconde Guerre mondiale ».
Plus loin, Becquembois écrit : « Mais Jean-Pierre Azéma sera surtout parmi les premiers à défricher l’histoire de Vichy, contribuant, dans le sillage du documentaire Le Chagrin et la Pitié (1969) de Marcel Ophüls, à déconstruire le mythe d’une France entièrement résistante.
Il rappelle également son engagement politique :
Parallèlement à son activité d’historien, Jean-Pierre Azéma, militant au Parti socialiste à partir de 1993, n’a jamais caché son engagement à gauche. « J’ai aussi choisi de faire de l’histoire pour des raisons politiques. J’espérais ainsi pouvoir intervenir intellectuellement dans la vie de la cité ».
Jean-Pierre Azéma dans les collections de la BnF
Sa notice de personne dans le catalogue général permet d’accéder aux notices des œuvres dont il est auteur, éditeur intellectuel, préfacier…
S’il s’agit majoritairement d’ouvrages imprimés, parmi lesquels des participations à de nombreux manuels scolaires d’histoire, on trouve aussi des images animées, entre autres, le film documentaire de Claude Chabrol (1994) L’Œil de Vichy, le film documentaire (2009) Les temps obscurs sont toujours là : mémoires de la France de Vichy, 1940-1998, la série télévisée (2009) Un village français, des enregistrements sonores, et une série de portraits (documents iconographiques) [Recueil. Portraits de Jean-Pierre Azéma] .
Parmi ses ouvrages les plus importants, outre ceux déjà mentionnés, on peut citer :
Jean Moulin et le Conseil national de la Résistance (CNRS, 1983), avec Daniel Cordier et François Bédarida, 1940, l’année terrible (Le Seuil, 1990), Les libérations de la France (La Martinière, 1993), avec Olivier Wieviorka, Vichy, 1940-1944 (Perrin, 1997), avec Olivier Wieviorka, Jean Moulin : [actes du colloque, Paris, 10-11 juin 1999] (Flammarion, 2003), L’Occupation expliquée à mon petit-fils (Le Seuil, 2012), Vichy-Paris, les collaborations : histoire et mémoires (A. Versaille, 2012).
On peut retrouver un certain nombre d’articles, de chapitres ou de comptes-rendus d’ouvrages en ligne sur les portails CAIRN, Persée, JSTOR et sur la plate-forme OpenEdition, ainsi que des documents dans lesquels il est cité ou mentionné. Une partie de ces documents est consultable à distance.
Voir la bibliographie sélective de ses œuvres, accompagnée d’un choix d’articles, chapitres et comptes-rendus accessibles en ligne :
Pour aller plus loin
On peut écouter ou réécouter Jean-Pierre Azéma dans les podcasts de RadioFrance.
Signalons, entre autres :
- Cinq épisodes d’une série intitulée « Enfin ! le débarquement ! », diffusés du 2 au 6 juin 2014 sur France Inter.
- La France dans la guerre, 18e épisode de la série « La Seconde Guerre mondiale : origines, déroulement, enjeux, conséquences », diffusé le 24 mai 2025 sur France Culture.
- Jean Cavaillès, la pensée en actes : Jean-Pierre Azéma, diffusé le 4 avril 2024 sur France Culture.
- Jean Moulin, figure emblématique de l’homme d’État clandestin ?, diffusé le 22 juin 2023 sur France Culture.
- Qui est responsable de l’arrestation de Jean Moulin ?, 2e épisode de la série « Les deux missions de Jean Moulin », diffusé le 22 juin 2023 sur France Culture.
- Jean-Pierre Azéma, historien : « La Libération, c’est la renaissance de la démocratie », 1er épisode de la série « Les libérations de la France », diffusé le 1er septembre 2014 sur France Culture.
- L’entrevue de Montoire, dans la série « Seconde guerre mondiale : dates figures, événements », diffusé le 25 octobre 2010 sur France Inter.
- Vivre avec l’occupant en 1940 (2), dans la série « Seconde guerre mondiale : dates figures, événements », diffusé le 28 mai 2009 sur France Inter.
- Vivre avec l’occupant en 1940 (1), dans la série « Seconde guerre mondiale : dates figures, événements », diffusé le 27 mai 2009 sur France Inter.
- Le jour J : 6 juin 1944, dans les séries « Seconde guerre mondiale : dates figures, événements » et « Les États-Unis : des Amérindiens à Obama », diffusé le 4 juin 2004 sur France Inter.
- L’arrestation de Jean Moulin, dans la série « Seconde guerre mondiale : dates figures, événements », diffusé le 23 juin 2003 sur France Inter.
- Bordeaux, juin 1940, dans la série « Seconde guerre mondiale : dates figures, événements » , diffusé le 16 avril 2003 sur France Inter.
- Philippe-Jean Catinchi, « Jean-Pierre Azéma, historien spécialiste du régime de Vichy et de la Résistance, est mort », Le Monde [En ligne], 15 juillet 2025. [↩]
- Le fichier juif : rapport de la Commission présidée par René Rémond au Premier ministre, consultable sur Gallica. [↩]
- En ligne sur Cairn. [↩]
- Olivier Pascal-Mousselard, « Je me souviens de Jean-Pierre Azéma, historien des années sombres et de la collaboration », Télérama [En ligne], 15 juillet 2025. [↩]
- Éric Alary, « Hommage à Jean-Pierre Azéma, l’historien qui a changé notre regard sur Vichy », Le Point [En ligne], 17 juillet 2025. [↩]
- Michel Winock, « Jean-Pierre Azéma est mort », L’Histoire [En ligne], 16 juillet 2025. [↩]
- Jean-Noël Jeanneney, « Jean-Pierre Azéma, l’historien qui a mis en lumière les heures sombres du régime de Vichy », Challenges [En ligne], 16 juillet 2025. [↩]
- Michel Becquembois, « Mort de Jean-Pierre Azéma, au cœur de l’histoire », Libération [En ligne], 15 juillet 2025. [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Marianne Arnold (3 août 2025). Disparition de Jean-Pierre Azéma, 14 juillet 2025. L'Histoire à la BnF. Consulté le 17 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14ggv




